
5:05 La lumière fluorescente du radio réveil me grille les yeux, elle tremblote alors que j'essaye de lire les chiffres entourés d'un halo bleu. 5:05 et j'ai la gorge sèche, quelques aigreurs à l'estomac, une légère douleur dans les épaules. Repoussant draps et couvertures, je me lève, espérant qu'un verre d'eau me permettra de me rendormir.
5:05 me dit la pendule de la cuisine, alors que mes pieds entrent en contact avec le carrelage glacé. J'avance dans le noir, à la recherche de l'interrupteur. J'avance. L'impression d'avoir les pieds pris par la glace, il fait si froid dans cette cuisine. J'avance. Il faudrait laisser un chauffage la nuit, même en veilleuse, quelque chose qui évite de se geler comme ça. J'avance.
5:05 me dit le réveil. La pendule de la cuisine. Le reflet de la pendule dans le réfrigérateur, le reflet du réfrigérateur dans le reflet de la pendule dans le réfrigérateur. A l'infini. Comme dans un mezzo-tinto de Maurits Cornelis Escher. Pourquoi je pense à lui subitement? Je ressemble peut-être à l'un de ses petits bonhommes grimpant des escaliers improbables...
5:05. J'avance. Maintenant le carrelage a fait place à la terre, il fait toujours aussi froid, aussi noir. La terre battue me fait mal aux pieds, pourquoi n'ai-je pas enfilé mes pantoufles avant d'aller dans cette cuisine glacée? En plus, le vent s'est levé. Il souffle et siffle à mes oreilles, me glaçant jusqu'aux os.
5:05. Les chiffres lumineux se reflètent à l'horizon sur la mer, on dirait une grande étendue de pétrole, noir, visqueux, dans laquelle ondulent les petits chiffres. Je croise mes bras pour garder un peu de chaleur, et j'avance. Le vent se fait plus fort, et je distingue mieux les étoiles au dessus de ma tête, je dois approcher de la falaise, je peux voir la mer m'entourer, j'entends le bruit du ressac des vagues mortes, j'entends le silence des mouettes qui ne volent pas. J'avance, je n'entends pas mon coeur, je n'entends pas le tic tac, le bruit du moteur du réfrigérateur, mais j'avance.
5:05, enfin je crois... Mon pied touche.. le vide. Le temps s'arrête, comme dans un dessin animé j'ai le temps de marcher sur le vide, de sentir le vent caresser doucement la plante de mes pieds.
Et puis je tombe. Je tombe.
L'eau m'entoure, m'avale, je rentre dans les draps de la mer. Est-ce pour cela qu'on dit le "lit" d'une rivière? Qu'on est bercé par l'onde? De se méfier de l'eau qui dort? Pourquoi est-ce si doux, si calme? Est-ce comme cela quand on se noie? Quand on meurt? L'impression d'être dans son lit, blotti, bien au chaud... En effet, je m'enfonce dans l'eau noire, mais je n'ai plus froid. Je coule.
Puis, c'est l'angoisse, de réaliser d'un coup que le problème dans ma situation n'est pas de couler, mais de ne pas respirer. Il faut que je respire, mon cerveau me l'ordonne, c'est un ordre. Comme une drogue j'ai besoin d'air, il faut que je remonte. Je donne de désespérés coups de pieds, je remonte, mais pas assez vite. Je monte, je monte. Je le sens je manque d'air, je suis à la limite, et mon cerveau s'affole. J'essaye de souffler pour tromper mes sens, mais ça ne marche pas. Où est la surface, il me faut de l'air! Je ne sais même pas si je suis encore sous l'eau ou déjà à l'air libre, il fait noir, je ne vois rien, je ne sens rien. Il faut que j'inspire, il le faut, mais quoi? De l'air? De l'eau? Que va-t'il se passer si je respire?
J'ai peur, j'ai peur. Je respire....
Il ne se passe rien... Rien... Je respire... Je ne suis pas mouillé, ni noyé, j'ai même la gorge un peu sèche. J'ouvre un oeil et je regarde les chiffres du radio réveil, j'ai du mal à distinguer... 5:05
Je pense, je me retourne, je bouge, j'essaye de revivre ce rêve, de le comprendre. Au fond de moi quelque chose aurait aimé que je ne tente pas de remonter, de respirer. Que je me laisse juste couler jusqu'au fond.
C'était si doux...
Demain je dois être en forme, je dois voir le banquier, il y a les papiers du divorce à envoyer, il faut que j'écrive au directeur de l'école pour le changement, je dois retrouver l'adresse de ce "spécialiste" puisque selon mon médecin je vais avoir "besoin de le consulter", il y a cette saloperie de voiture que je dois porter au garage, et puis les impôts, et les courses, et ceci, et cela...
5:05...
505...
5OS....
SOS....
S O S !!!

(Copyright Ledormeurduvol 2009)
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